Aussi effronté que grossier, Mathurin Bruneau n’était pas le candidat le plus crédible pour incarner le fils du roi Louis XVI. Né à Vezins, près de Cholet, et baptisé le 10 mai 1784, il était le fils de Mathurin Bruneau, sabotier, et de Jeanne Teigné.
Le jeune aventurier avait commencé son rôle d’imposteur au château d’Angrie, chez Mme Turpin de Crissé, en se présentant en tant que « baron de Vezins ». On crut d’abord à sa fable, mais il ne tarda pas à être démasqué et fut relégué à la cuisine et au chenil. De dépit, il finit par rentrer dans sa famille à Vezins, pour quelque temps seulement.
En 1803, il fut écroué comme « vagabond et fou » au dépôt de mendicité de Saint-Denis, d’où il sortit pour s’embarquer dans le 4e régiment d’artillerie de marine. Il déserta son unité à Norfolk, aux États-Unis, où il vécut de petits métiers, boulanger, tailleur de pierres et domestique.
De retour en France en 1816, il débarqua à Saint-Malo muni d’un passeport américain délivré sous le nom de « Charles de Navarre » et chercha déjà à se faire passer pour le Dauphin, fils de Louis XVI. Comme on se moqua de lui, il endossa une identité plus modeste, celle du fils d’une veuve Phélipeaux, dont le fils avait disparu depuis longtemps et à laquelle il parvint ainsi à soutirer 600 francs.
À nouveau arrêté pour vagabondage et mendicité, il fut conduit à la prison de Bicêtre, à Rouen. C’est là qu’il aurait découvert le roman de Jean-Joseph Regnault-Warin, Le cimetière de la Madeleine, qui répandit dans les années 1800 l’idée de la survivance de Louis XVII. Mathurin Bruneau en adopta le récit, en particulier la fuite en Vendée à laquelle ses origines donnaient du crédit. Il prétendait même avoir assisté au combat des Aubiers, le 13 avril 1793, alors qu’à cette date le jeune Dauphin se trouvait encore dans sa geôle.
Il s’attacha plusieurs complices parmi ses compagnons de prison : Tourly, ancien huissier condamné pour faux à deux ans de réclusion ; Branzon, ex-directeur de l’octroi de Rouen, condamné à cinq ans pour détournement de deniers publics ; et Larcher, détenu pour usurpation de fonctions sacerdotales.
Mathurin Bruneau réussit par ailleurs à nouer des relations au-dehors avec quelques illuminés qui crurent à son histoire : un abbé Matouillet, de Lisieux ; une dame Dumont, marchande de toiles à Rouen ; une dame Morin, employée à la mairie de cette ville ; Montier, banquier à Fécamp ; et même un M. de Foulques, ancien lieutenant-colonel d’infanterie, qui intercéda auprès de la duchesse d’Angoulême pour qu’elle rencontre ce prétendu frère.
Jugé par le tribunal de Rouen en février 1818, Mathurin Bruneau fut condamné à cinq ans de détention pour vagabondage, usurpation de titres royaux et escroquerie, et à deux années de plus pour outrages envers les magistrats. La sentence ne dissuada pas ses partisans d’intercéder en sa faveur. Après son transfert à la prison du Mont-Saint-Michel, il dépérit. Bientôt à demi-fou, il ne répondait que par des bribes de mots incohérents : « roi de Prusse et d’Angleterre », « Louis XVII », « incendie de Philadelphie », etc.
Pour l’occuper, on le mit à faire des sabots, ce qu’il avait appris de son père. Des chansons parodiques ramenaient d’ailleurs ce soi-disant « prince » à son métier de sabotier. Mais son état de santé et son mauvais vouloir lui faisaient gâter tout le bois qu’on lui donnait.
Une attaque d’apoplexie mit fin à sa vie aventureuse le 26 avril 1822. Certains prétendirent pourtant qu’il avait survécu à son incarcération au Mont-Saint-Michel et qu’il vécut ensuite à Cayenne, en Guyane. Mais peut-être s’agit-il d’un faux Mathurin Bruneau, lui-même faux Louis XVII, « le pastiche d’un pastiche » comme l’écrit Léon de La Sicotière (Les faux Louis XVII, 1882, p. 62) ?